Une réforme qui est une révolution: sur le règlement 2017/458 modifiant le Code Frontières Schengen

Par Nuno Piçarra, Universidade Nova de Lisboa & European University Institute.

Le 7 avril 2017 est entré en vigueur le règlement 2017/458 du 15 mars 2017, modifiant le Code Frontières Schengen (CFS – règlement 2016/399 du 9 mars 2016), en ce qui concerne le renforcement des vérifications dans les bases de données pertinentes aux frontières extérieures, « en réponse notamment à l’aggravation de la menace terroriste ».

Il s’agit de la deuxième modification du CFS. La première, opérée par le règlement 2016/1624 du 14 septembre 2017, s’est limitée à l’article 29, ayant comblé une lacune sérieuse dans l’économie de ce code (v. Nuno Piçarra, La modification discrète de l’article 29 du Code Frontières Schengen par le règlement 2016/1624 relatif au corps européen de garde-frontières: comblement d’une lacune?). La nouvelle modification, qui se limite à l’article 8 du CFS revient, par contre, à l’abrogation d’une règle fondamentale du droit de l’UE et en particulier de la citoyenneté de l’Union, à savoir, celle de la « vérification minimale » des « personnes jouissant du droit à la libre circulation au titre du droit de l’Union » lors du franchissement des frontières extérieures de l’UE.

Afin de bien saisir la portée « révolutionnaire » du règlement 2017/458, il convient d’examiner le contenu de l’article 8, paragraphe 2, CFS avant et après l’entrée en vigueur de ce règlement. Les mots « réforme » et « révolution » sont employés dans leur sens plus courant de, respectivement, « amélioration partielle et progressive (opposé à révolution) » et « changement brusque et important » (v., par exemple, Le Nouveau Petit Robert).

  1. La version originaire de l’article 8, paragraphe 2, du Code Frontières Schengen

i.i. L’article 8 (« Vérifications aux frontières portant sur les personnes »), paragraphe 2, dans sa version précédente, disposait que, lors du franchissement des frontières extérieures de l’UE, toutes les personnes devaient faire l’objet d’une vérification minimale visant à établir leur identité sur production ou sur présentation de leurs documents de voyage. Cette vérification minimale consistait en un examen simple et rapide de la validité du document autorisant son titulaire légitime à franchir la frontière et de la présence d’indices de falsification ou de contrefaçon, le cas échéant en recourant à des dispositifs techniques et en consultant, dans les bases de données pertinentes, les informations relatives, exclusivement, aux documents volés, détournés, égarés et invalidés ( 1er alinéa).

Une telle vérification minimale constituait « la règle pour les personnes jouissant du droit à la libre circulation au titre du droit de l’Union » (2ème alinéa), à savoir, (i) les citoyens de l’Union, au sens de l’article 20, paragraphe 1, TFUE, ainsi que les ressortissants de pays tiers membres de la famille des citoyens de l’Union exerçant leur droit à la libre circulation conformément à la directive 2004/38/CE ; (ii) les ressortissants de pays tiers et les membres de leur famille, quelle que soit leur nationalité, qui, en vertu d’accords conclus entre l’Union et ses États membres, d’une part, et ces pays tiers, d’autre part, jouissent de droits en matière de libre circulation équivalents à ceux des citoyens de l’Union (article 2 « Définitions », point 5, CFS).

Les gardes-frontières ne pouvaient consulter que « d’une manière non systématique » les bases de données nationales et européennes à l’égard des personnes jouissant du droit à la libre circulation au titre du droit de l’Union, « afin de s’assurer qu’elles ne représentent pas une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour la sécurité intérieure, l’ordre public ou les relations internationales des États membres, ou une menace pour la santé publique ». « Les conséquences de ces consultations » ne pourraient compromettre, en aucun cas, « le droit d’entrée » de telles personnes sur le territoire de l’État membre concerné « comme le prévoit la directive 2004/38/CE » (3ème et 4ème alinéas). Par ailleurs, l’article 8, paragraphe 6, confirmait que « les vérifications portant sur des personnes jouissant du droit à la libre circulation au titre du droit de l’Union » devaient être effectuées conformément à cette directive.

i.ii. Par contre, conformément à l’article 8, paragraphe 3, CFS (dans lequel le règlement 2017/458 n’a pas introduit des modifications substantielles), les ressortissants des pays tiers sont soumis à une « vérification approfondie », à l’entrée et à la sortie, aux termes très détaillés de ses points a) à h), auxquels le nouveau règlement a ajouté les points i bis) et i ter). Cette catégorie comprend toute personne qui n’est pas citoyen de l’Union au sens de l’article 20, paragraphe 1, TFUE, et qui n’est pas visée par le point 5) de l’article 2 CFS.

Le caractère approfondi de cette vérification a conduit les auteurs du CFS à prévoir, d’une part, que, à la demande des ressortissants des pays tiers, elle doit être effectuée « dans un lieu privé » « lorsque des installations existent » (paragraphe 4). D’autre part, les ressortissants des pays tiers faisant l’objet d’une « vérification approfondie de deuxième ligne », c’est-à-dire, effectuée, conformément à l’article 2, point 13), « à l’écart du lieu où toutes les personnes sont soumises à des vérifications (première ligne) », doivent recevoir « des informations communiquées par écrit dans une langue qu’ils comprennent ou dont on peut raisonnablement supposer qu’ils la comprennent, ou communiquées d’une autre manière efficace, sur l’objectif de cette vérification et la procédure à suivre (paragraphe 5, 1er alinéa). En outre, ces informations doivent être disponibles dans toutes les langues officielles des institutions de l’Union et dans la ou les langues du pays ou des pays limitrophes de l’État membre concerné. Il doit y être indiqué que le ressortissant de pays tiers peut demander le nom ou le numéro de matricule des gardes-frontières effectuant la vérification approfondie de deuxième ligne, ainsi que le nom du point de passage frontalier et la date du franchissement de la frontière.

 

  1. L’article 8, paragraphe 2, du Code Frontières Schengen tel qu’amendé par le règlement 2017/458

ii.i. C’est précisément la « règle de la vérification minimale » énoncée dans la version précédente de l’article 8, paragraphe 2, que le règlement 2017/458 vient abroger. Selon son 2ème considérant, « le phénomène des combattants terroristes étrangers, dont un grand nombre sont des citoyens de l’Union [sic], montre qu’il est nécessaire de renforcer les vérifications aux frontières extérieures à l’égard des personnes jouissant du droit à la libre circulation au titre du droit de l’Union ». L’article 8, paragraphe 2, a fait donc l’objet d’une révision très substantielle opérée par le règlement 2017/458, qui, de plus, lui a ajouté les paragraphes 2 bis à 2 septies. Dans sa nouvelle version, il établit la règle selon laquelle, « à l’entrée et à la sortie, les personnes jouissant du droit à la libre circulation au titre du droit de l’Union sont soumises à deux vérifications.

La première est la vérification de leur identité et de leur nationalité, ainsi que de l’authenticité et de la validité de leur document de voyage pour le franchissement de la frontière, y compris par la consultation des bases de données pertinentes, notamment, le SIS, la base de données d’Interpol sur les documents de voyage volés ou perdus (SLTD) et les bases de données nationales contenant des informations sur les documents de voyage volés, détournés, égarés et invalidés (point a). À cela s’ajoute la vérification de l’authenticité des données contenues sur la puce des passeports et des documents de voyage comportant un support de stockage visé à l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 2252/2004 du Conseil (lequel a intégré dans les passeports et les documents de voyage délivrés par les États membres les identificateurs biométriques – photo faciale et empreintes digitales – dans le but de les rendre plus sûrs et d’établir un lien fiable entre chacun d’eux et son titulaire). En cas de doute sur l’authenticité du document de voyage ou sur l’identité de son titulaire, il est procédé à la vérification d’au moins un des identificateurs biométriques intégrés dans les passeports et les documents de voyage délivrés conformément à ce règlement. À cet égard, le 14ème considérant du règlement 2017/458 rappelle que, « afin de faciliter les vérifications systématiques dans les bases de données, les États membres devraient progressivement supprimer les documents de voyage sans zone de lecture automatique ».

La seconde vérification à laquelle sont soumises les personnes jouissant du droit à la libre circulation au titre du droit de l’Union est celle visant à établir qu’elles ne sont pas considérées « comme une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales de l’un des États membres, y compris en consultant le SIS et d’autres bases de données pertinentes de l’Union (…), sans préjudice de la consultation des bases des données nationales et des bases de données d’Interpol » (point b).

Le nouveau paragraphe 2 sexies prévoit, de son côté, que ces vérifications peuvent s’effectuer au préalable sur la base des données relatives aux passagers reçues conformément à la directive 2004/82/CE du Conseil. Dans cette hypothèse, les données reçues au préalable sont vérifiées au point de passage frontalier par comparaison avec les données figurant dans le document de voyage, ainsi que l’identité, la nationalité de la personne concernée, l’authenticité et la validité de son document de voyage pour le franchissement de la frontière.

ii.ii. Un si « brusque et important changement » dans la logique du CFS a porté le nouveau paragraphe 2 bis de son article 8 à prévoir expressément dans ce contexte que, lorsque les vérifications effectuées dans les bases de données visées au paragraphe 2, points a) et b), risquent d’avoir un effet disproportionné sur la fluidité du trafic, un État membre peut décider de procéder temporairement à ces vérifications de manière ciblée à des points de passage frontaliers spécifiques. Dans ce cas, le même paragraphe établit cependant une série de conditions et limites strictes, comprenant une évaluation préalable des risques liés à l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales de l’un des États membres (effectuée conformément aux 2ème à 4ème alinéas), ainsi que l’obligation de notification aux autres États membres, à l’Agence européenne de garde-frontières (« Agence ») et à la Commission. Les éventuelles réserves émises par ceux-ci doivent être prises en compte par l’État membre en question (paragraphe 2 ter).

Dans le cas particulier des frontières aériennes, le paragraphe 2 quinquies établit une période transitoire maximale de six mois à compter du 7 avril 2017 au terme de laquelle les vérifications systématiques dans les bases de données cessent de pouvoir s’effectuer de manière ciblée. Il prévoit également que, lorsque les infrastructures d’un aéroport donné posent des problèmes spécifiques nécessitant une plus longue période pour procéder aux adaptations requises afin de rendre possible la réalisation de ces vérifications sans que cela ait un effet disproportionné sur la fluidité du trafic, la période transitoire peut être prorogée jusqu’à un maximum de dix-huit mois, à condition que l’État membre en question notifie d’avance à la Commission, à l’Agence et aux autres États membres les problèmes spécifiques de l’aéroport concerné, ainsi que « les mesures envisagées pour y remédier et la période nécessaire pour leur mise en œuvre ». Une prorogation pour une période transitoire plus longue que dix-huit mois dépend forcément d’une autorisation de la Commission après consultation de l’Agence.

Enfin, s’agissant du franchissement, par les personnes jouissant du droit à la libre circulation au titre du droit de l’Union, des frontières terrestres intérieures des États membres pour lesquels la vérification selon les procédures d’évaluation de Schengen applicables a déjà été accomplie avec succès, mais pour lesquels la décision relative à la levée des contrôles à leurs frontières intérieures en vertu des dispositions pertinentes des actes d’adhésion correspondants n’a pas encore été prise (Bulgarie et Roumanie), le paragraphe 2 septies prévoit que, par dérogation au paragraphe 2, ces personnes peuvent être soumises aux vérifications à la sortie « uniquement de manière non systématique, sur la base d’une évaluation des risques ».

 

  1. Appréciation et questions en suspens

L’aggravation de la menace terroriste a poussé le législateur de l’UE à rayer décidément du CFS la « règle de la vérification minimale » applicable, jusqu’à l’entrée en vigueur du règlement 2017/458, aux citoyens de l’Union et aux membres de leur famille rentrant dans le champ d’application de la directive 2004/38/CE. Dans leur ensemble, ces personnes, quand bien même elles jouissent du droit à la libre circulation au titre du droit de l’Union, sont maintenant soumises à la règle de la « vérification systématique et approfondie » lors du franchissement des frontières extérieures.

Une telle assimilation des citoyens de l’Union au sens de l’article 20, paragraphe 1, TFUE aux ressortissants de pays tiers, au sens de l’article 2, point 5), CFS – surtout à ceux qui sont exemptés de l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures de l’UE en vertu du règlement nº 539/2001 du 15 mars 2001 –, n’est pas démentie par l’article 8, paragraphe 2 septies (v. supra, 2.2.), pas plus que par le fait que les premiers, contrairement aux seconds, ne peuvent pas faire l’objet d’une consultation dans le SIS en vertu du règlement nº 1987/2006 du 20 décembre 2006. En effet, le champ d’application de ce règlement se circonscrit, aux termes de son article 2, paragraphe 1, à la définition des conditions et des procédures applicables à l’introduction et au traitement des signalements de ressortissants de pays tiers (y compris ceux auxquels s’applique la directive 2004/38/CE, en tant que membres de la famille des citoyens de l’Union exerçant leur droit de libre circulation), ainsi qu’à l’échange d’informations et de données supplémentaires aux fins de non-admission ou d’interdiction de séjour dans les États membres.

Au vue de cette assimilation – surtout pour ce qui est de la « vérification à la sortie » –, il s’ensuit que le règlement 2017/458 aurait dû abroger le paragraphe 6 de l’article 8 CFS, aux termes duquel « les vérifications portant sur des personnes jouissant du droit à la libre circulation au titre du droit de l’Union sont effectuées conformément à la directive 2004/38/CE ». En effet, tel n’est plus le cas depuis l’entrée en vigueur du paragraphe 2 du même article tel qu’amendé par ce règlement.

Par ailleurs, il apparaît que les « vérifications systématiques et approfondies » auxquelles sont soumises, depuis l’entrée en vigueur du règlement 2017/458, les personnes jouissant du droit à la libre circulation au titre du droit de l’Union, leur rendent applicables les paragraphes 4 et 5 de l’article 8 CFS, relatifs à la « vérification de deuxième ligne », laquelle a été pensée originairement pour les ressortissants de pays tiers faisant l’objet de telles vérifications (v. supra, 1.2.).

Enfin, au vu de tout ce qui précède, on peut songer, pour les personnes jouissant du droit à la libre circulation au titre du droit de l’Union qui se déplacent fréquemment hors de l’UE, à un système semblable au système d’entrée/sortie (EES) qui est en train d’être développé par le législateur européen [v. la proposition de la Commission du 6 avril 2016, COM(2016) 194 final] pour les ressortissants de pays tiers qui sont des voyageurs fréquents vers l’UE et satisfont aux conditions prévues pour pouvoir bénéficier d’une vérification aux frontières extérieures simplifiée et totalement automatisée…